En langue japonaise, les pronoms personnels sont très nombreux. Par exemple, pour dire “je”, il existe au moins une vingtaine de formes : 私 watakushi, 私 watashi, 僕 boku, 我 ware, 俺 ore, 自分 jibun, 手前 temae, 内 uchi, わし washi, それがし soregashi, 我が輩 wagahai, 当方 tôhô, こちら kochira, あっし asshi, わて wate, おいらoira, こちとら kochitora.
Au Japon, le concept du “moi” est donc très diversifié. Le manque de personnalité des Japonais, souvent décrié par les Occidentaux, parait être un jugement hâtif et déplacé au regard de la grande variété des pronoms personnels. Toutefois, aux yeux des Européens, les Japonais peuvent parfois manquer d’affirmation individuelle et apparaître effacés.

La philosophie gréco-latine semble être un genre de voyage tourné vers le “soi” de l’individu. Par exemple, SOCRATE dit : “Connais-toi toi-même !” ; DESCARTE affirme : “Je pense donc je suis.” La pensée traditionnelle européenne conduit donc à considérer le “soi” comme une entité unique délimitée et individuelle. La société occidentale est en ce sens composée d’une somme d’individus uniques et indépendants cherchant systématiquement à affirmer et confronter des idées fondées sur une logique intrinsèque.

Au Japon, il en va autrement. L’individu est une partie d’une réalité du tout. En effet, aux yeux des Japonais, un humain n’existe que par rapport à son entourage. La langue japonaise construit en effet ce schéma de pensée notamment par le biais de certains mots d’origine chinoise : 世界 sekai, le monde ; 人間 ningen, les humains. Ces deux mots ont donné la fusion suivante : 世間 seken, le monde des Hommes. Ce terme est mécaniquement assimilé à 人 hito, la personne. Un individu seul, coupé de son environnement, est donc une vision de l’esprit irréelle et artificielle. Les gens forment l’environnement et agissent généralement pour en préserver l’harmonie. La très grande variété des pronoms personnels japonais témoigne ainsi d’une profonde subtilité dans la finesse des rapports aux autres. Le choix d’utilisation de tel ou tel pronom personnel selon la situation affiche l’état de cœur de la personne en sus de la fonction du pronom. Par exemple, 僕 boku signifie « je » et présente le locuteur comme un jeune garçon innocent, tandis que 俺 ore affiche plutôt un homme viril sans gène à l’image de l’inspecteur HARRY doté de son 44 Magnum.

Pascal 🙂