Le parcours initiatique semble être un thème universel. Selon les différents dictionnaires consultés, le parcours initiatique s’apparente à une série d’épreuves morales ou physiques qui apportent in fine une plus grande maturité à celui en recherche.
La littérature japonaise comprend des œuvres traitant du sujet. Par exemples :
– La femme des sables, Suna no onna 砂の女, d’ABE Kôbô 安部公房 ;
– KANEKO Tôta 金子兜太, maître de Haïku pris par la guerre et dont le parcours de vie est sans équivoque initiatique.
En tant qu’étudiant perpétuel en japonais, je m’interroge donc légitimement sur les grandes étapes d’un tel parcours et de leurs traductions concrètes dans cet apprentissage.
En me fondant sur mon expérience et lectures, le parcours initiatique se décomposerait en trois étapes majeures : 1/ l’exil qui engendre le déracinement ; 2/ le voyage qui s’apparente à une forme d’errance ; 3/ l’accomplissement qui engendre le retour de l’initié enrichi vers sa position d’origine.
La structure de cet article reprendra donc ce plan.
1) L’exil : une forme de déracinement.
A mes yeux, cette étape correspond à mes cinq années d’études effectuées à Paris à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales. Déraciné et loin de Grasse, en exil à Paris, j’y ai préparé mon Master de japonais. A l’Institut, le droit à la parole n’existait pas vraiment. Notre seul droit était le travail en silence. Jean Jacques ORIGAS, mon professeur bien aimé, me rappelait sans cesse :
« Ici, monsieur NAPOLI, vous posez les bases. Pour le reste, vous verrez plus tard au Japon. Mais Master ou pas, n’ayez jamais les chevilles qui gonflent ! »
2) Les voyages : une forme d’errance.
Après un travail acharné à l’Institut des Langues Orientales, j’ai validé mon diplôme. Lassé de Paris, je pris mon sac à dos et du haut de mes 27 ans, je suis parti au Japon en Visa Vacances Travail en 2001. Face à la vie réelle japonaise, je pris conscience de ma grande ignorance en japonais. En étant au Japon, je comprenais mieux le sentiment d’humilité face à la tâche immense d’apprentissage et je rejoignais mon professeur dans son sentiment de modestie. A ce propos, je lui ai d’ailleurs écrit un petit mot au moment de la saison des cerisiers en fleurs. Je me souviens de lui avoir écrit :
« En japonais, le Master, c’est vraiment le minimum… ».
J’étais parti au Japon pour sept mois et j’y suis resté plus de dix ans. Huit ans après mon arrivée à Tokyo, mon niveau de langue s’était naturellement amélioré au fil de l’eau mais en raison du manque de travail, le fond de mes connaissances était pratiquement identique. L’apprentissage du japonais s’apparentant à une démarche initiatique, j’étais un peu comme un marcheur assis et en position de repos sur le bord du chemin. Toutefois, les événements de la vie me remirent en question. L’illusion de ma suffisance s’estompa. Une forme de sérénité intérieure s’installa et la reprise du travail en japonais devint évidente. Ayant économisé un peu d’argent durant ces huit années, je suis allé neuf mois dans une école de langue japonaise. Je fus intégré dans une classe de niveau avancé. A ce moment, mon japonais fit un bond en avant et je pus préparer les tests officiels de langues de niveaux avancés organisés par les autorités japonaises.
3) L’accomplissement, retour à la case départ pour transmettre.
De retour à Grasse en 2012, après deux ou trois mois, je constate que l’enseignement du japonais est toujours dans un état embryonnaire, même si les publications pédagogiques ont progressé depuis la fin des années 90. Cette situation a toujours été paradoxale à mes yeux. En effet, le Japon est la troisième puissance économique du monde. Inspiré, je décide donc de changer complètement de vie. Mon costume de commercial : au placard ! Je me mets à mon compte et je me lance dans l’enseignement du japonais pour qui veut bien apprendre. Mettre cette activité d’enseignement sur orbite ne fut pas de tout repos et nécessita au moins trois ans de travail. Doutes, échecs, peur d’échouer, trahisons, succès… Bref, une véritable entreprise qui nécessita toutes les connaissances et l’expérience apprises durant ma vie commerciale précédente en complément de mes compétences en langue japonaise.
Conclusion
Cette troisième étape n’est toutefois pas la fin du cheminement. La perfection étant inaccessible par définition, le parcours initiatique est infini et appelle à revenir à sa position d’origine pour repartir ensuite.
Pour des raisons administratives à l’égard des autorités japonaises, en février 2019, j’ai dû me rendre à Tokyo une dizaine de jours. A cette occasion, je suis retourné dans mon école de langue où j’ai repris des cours de perfectionnement tous les matins. De la position de formateur en France, je suis passé de nouveau du côté étudiant au Japon.
Fév. 2019 : retour en position d’élève
Je me suis également rendu dans mon ancien quartier. Inspiré, j’ai visité le temple shintô Hikawa 氷川神社 dont les origines remontent au 8ème siècle. Mon attention s’est portée sur différents aspects architecturaux de l’édifice : le Torii (portique à l’entrée) ; les lumières installées dans les pagodes de pierres à cinq niveaux le long de la nef conduisant au sanctuaire principal ; les deux chiens de garde en forme de lions situés respectivement à gauche et à droite du sanctuaire principal.
Le portique, Torii 鳥居, à l’entrée du temple et la nef conduisant au sanctuaire principal.
Les deux chiens de gardes, Koma inu 狛犬, du temple.
Les différents édifices du sanctuaire dans un magnifique jardin japonais.
Le sanctuaire principal.
Les lanternes, Tôrô 灯籠, à cinq niveaux.
Seul dans la cours principale du temple Hikawa, j’ai paisiblement levé les yeux au ciel. Dans un bleu azur limpide, un avion de ligne passait silencieusement à haute altitude au dessus de l’édifice. La distance temporelle séparant ces deux éléments me sembla très grande. Les moines à l’origine de ce temple n’avaient certainement pas imaginé le monde d’aujourd’hui. On ne peut toutefois pas vraiment déconnecter les deux époques. Au fil du temps, ce temple fut détruit par les Hommes et reconstruit à plusieurs reprises par ces derniers. Aujourd’hui, cette même main humaine réalise des avions et des fusées qui vont vers les étoiles. Debout devant ce sanctuaire de treize siècles dont l’histoire fut traversée par les lumières et les ombres, les yeux levés vers le ciel azur du Japon, je reste immobile et songeur, la joie dans le cœur.
Le magnifique ciel bleu azur du Japon en hiver avec la lune.
Pascal 🙂