L’Amour, qu’est-ce donc ?

L’amour entre les hommes et les femmes semble être un sentiment universel. Est-il toutefois ressenti de la même façon au Japon et en France ? A première vue, je dirai « oui ». Par exemple, lors d’une déclaration amoureuse, le coeur bat la chamade dans les deux pays. On dit souvent : « je t’aime » et on attend la réponse avec impatience. Bon jusque là, rien de bien différent… Mais voilà l’amour est un sentiment coloré qui prend des nuances, des teintes diverses et variées selon les situations, l’histoire et la culture. Comment donc exprimer correctement le « je t’aime » en japonais et être fidèle à son ressenti parfois complexe ? Je tenterai de répondre à cette problématique humaine passionnante en donnant un aperçu de la palette lexicale japonaise pour exprimer ce sentiment.

Tour d’horizon du champs lexical japonais pour exprimer le verbe  » aimer « .

1/ Le verbe 好くsuku se traduit simplement par « aimer ». On utilise ce verbe dans de nombreuses occasions. Ex. J’aime les pommes, le fromage, les voitures bleues. On l’emploie également pour dire « je t’aime » à une personne. Toutefois, en raison de son utilisation générale, 好くest un verbe plutôt léger et ne porte pas de grandes conséquences immédiates, telle une demande en mariage. Par exemple, des lycéens se déclarant, un enfant à sa mère, utiliseront ce verbe de préférence.

2/ Le verbe 愛する aï suru est tiré du bouddhisme et son utilisation fut étendu aux relations humaines durant l’ère Meiji. A l’origine, ce mot japonais désignait uniquement l’amour vis-à-vis du Bouddha. Cette extension d’usage fut mise en œuvre pour donner un équivalent au mot « Amour » utilisé dans les langues européennes. Cet Amour est un amour universel impliquant Dieu et les humains dans leurs relations. Utiliser ce verbe dans sa déclaration indique un sentiment plus fort que 好く et met Dieu dans la boucle. Dans 愛する, il y a déjà l’idée du serment d’amour vis-à-vis de l’autre devant Dieu.

3/ 惚れる horeru est le verbe traditionnel japonais pour faire une déclaration sérieuse à son conjoint. En d’autres termes, lui dire « je t’aime » sérieusement et lui signaler que son sentiment n’est pas une amourette. Cette expression n’implique pas Dieu et exprime avec force l’amour à niveau humain uniquement. En effet, l’union au Japon est avant tout un acte social. Dieu n’intervient pas dans les histoires de couples.

4/ 恋をする Koi wo suru, 思いを寄せる omoi wo yoseru, sont deux expressions à caractère descriptif pour parler de l’amour entre deux personnes tierces. Ex. « Yoko et Hidéo s’aiment. » Utiliser ces mots dans sa déclaration n’est pas adéquate. Ces expressions sont dénuées de sentiments. Elles peuvent être toutefois utilisées dans une chanson pour parler de l’amour en général sans être concerné directement par le discours.

5/ 慕う shitau se traduit par « je t’aime » mais ne s’utilise que pour marquer un amour humble et respectueux vis-à-vis d’un supérieur : un professeur, un docteur, un patron… Lorsque le subalterne veut déclarer sa flamme à son supérieur, il utilisera plutôt cette expression. Dans ce mot également, l’amour évoqué est de niveau humain et n’inclue pas l’amour de dieu.

Petite réflexion…

L’amour entre humains au Japon semble comprendre un sentiment d’attachement vis-à-vis de l’autre comme en Occident mais n’inclue pas l’amour céleste/divin. La relation avec son partenaire est avant tout une histoire humaine et non céleste. Je ne développe pas ici la relation avec dieu au Japon car dans ce domaine également, l’interaction avec le divin et sa perception sont très différentes de la vision occidentale. Au Japon, il existe « 8 millions de dieux » présents dans le quotidien des humains. Ils ne sont pas au dessus des humains. Ils vivent avec. Ma vie au Japon et cet échantillon lexical semblent me conduire à cette conclusion/perception. Entre Japonais et Français, nous exprimons parfois l’amour mais parlons-nous finalement de la même chose ? La question a sincèrement le mérite d’être posée.

Pascal