Mes élèves m’interrogent souvent sur la question des dialectes japonais, soit par curiosité, soit après un voyage au Japon en province. Pour ma part, je suis également souvent confronté aux langues régionales dans mes échanges. J’ai donc décidé d’apporter un éclairage sur cette question.

Ere Meiji (1868-1912), le gouvernement japonais unifie le Japon en tant que nation. Disposer d’une langue nationale unifiée (kokugo 国語), est nécessaire pour réussir cette transition politique. Le ministère de l’éducation nationale (Monbushô 文部省) et les médias japonais jouent un rôle fondamental dans la structuration et la diffusion d’une langue commune dans l’Archipel. La population adopte très rapidement la langue standardisée (hyôjungo 標準語).

Aujourd’hui, les dialectes régionaux (hôgen 方言) existent toujours parallèlement à la langue standardisée comprise de tous. Dans les zones agricoles ou les villages de pêcheurs, les mots locaux sont très liés au contexte et restent abscons pour le profane. Il n’en demeure pas moins que les provinciaux utilisent naturellement la langue standardisée avec les interlocuteurs d’autres régions. En revanche, les habitants de Tokyo ne font pas l’effort inverse. La langue de la capitale est considérée comme la LANGUE officielle du pays et dans l’esprit de certaines personnes, la langue nationale doit supplanter les patois perçus comme anachroniques et désuets.

Soutenue par le système éducatif japonais, la langue standardisée évincera certainement les langues régionales à l’avenir. En d’autres termes, les langues régionales seront chassées par la langue tokyoïte toute puissante. Bien que ce phénomène linguistique soit indispensable dans la création d’un Etat centralisé fort, on peut toutefois s’interroger.

La langue de la capitale est composée de mots utilisés en milieu urbain et manque parfois de précision concernant l’environnement naturel.

Par exemple, dans le département de Niigata (Niigata ken 新潟県), la neige est très présente en hiver. Le dialecte local (Niigata ben 新潟弁), est donc très riche en vocabulaire sur ce sujet. Des mots expriment différents types de chutes de neige. Ces expressions ne devraient en aucun cas disparaître et laisser place au vide.

A l’opposé géographique, dans le sud du Japon vers Kagoshima 鹿児島, on pêche la bonite カツオen grande quantité depuis des générations. Les mots locaux spécifiques à ce poisson sont donc très nombreux et restent sans équivalent dans la langue nationale standardisée.

La langue standardisée de Tokyo pensée par des citadins est sans aucun doute incomplète pour les provinciaux vivant dans un environnement différent.

Certains linguistes japonais, spécialistes des langues régionales, pensent que la création d’une langue nationale unifiée devrait également puiser son champ lexical dans les dialectes régionaux pour conserver toute la richesse culturelle et linguistique japonaises. Aujourd’hui, la question reste donc ouverte, même pour les Japonais.

Pascal 🙂