Au commencement de l’étude du japonais, on a besoin de temps pour analyser et comprendre un texte écrit, même simple. Dans une langue étrangère européenne, on n’éprouve pas de façon aussi aigüe ce problème. La raison semble évidente. Le japonais n’a pas de point commun avec les langues latines. L’étude du japonais prend donc plus de temps et donne plus de fil à retordre. Cette réponse juste et simple m’a toutefois toujours laissée sur ma faim. En effet, pourquoi devons-nous analyser la phrase et la disséquer pour en percer le sens après lecture ? Pourquoi la compréhension naturelle vient après un travail acharné de plusieurs années ? En quoi le japonais diffère des langues européennes sur le plan cérébral ?
Une étude médicale appuyée par IRM
Quatre chercheurs spécialisés en neurosciences du langage et de la cognition apportèrent un éclairage intéressant le 28 janvier 2009. L’objectif de leur étude était d’étudier l’activation cérébrale associée à la compréhension de la lecture dans deux systèmes d’écritures (le japonais et l’anglais) sur des sujets japonais.
L’étude s’est effectuée sur dix participants droitiers (âge moyen 27,5 ans) de langue maternelle japonaise. Les sujets ont un niveau intermédiaire en anglais. Ils ont lu des phrases japonaises avec des kanji et des kana. Ensuite, ils ont lu des phrases écrites en hiragana uniquement. Pour finir, les sujets ont lu des phrases en anglais. L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) a été utilisée pour comparer l’activation cérébrale des lecteurs japonais.
L’écriture japonaise est composée de deux systèmes : un graphique (kanji) et l’autre phonétique (kana). Cette caractéristique remarquable pose aux lecteurs un défi cognitif important. La lecture du japonais met en effet à contribution différentes zones cérébrales en associant les mots, les sons et les sens. Lors de la lecture en japonais, l’étude met en lumière deux traitements cérébraux différents parallèles : 1) pour les kanji, activation des zones visuospatiales et picturales dans l’hémisphère droit ; 2) pour les kana, activation des zones phonologiques dans les hémisphères gauche et droit. Le cerveau répond donc différemment aux deux systèmes scripturaux japonais.
L’anglais est composé d’un système alphabétique unique associant lettres et sons. Pour les Japonais, la lecture en anglais pose un défi cognitif de traitement d’une langue dans laquelle ils sont moins compétents et qui utilise une orthographe différente. L’activité cérébrale indique : 1) une activation dans les zones corticales associée à la reconnaissance, au traitement des mots et à l’association des lettres aux sons ; 2) un travail supplémentaire de la mémoire pour maintenir ces associations actives en raison de la nature étrangère de la langue.
Les deux phrases lues dans le cadre de l’étude :
- Kanji et kana : 会社員は男性に電化製品を売ってジュースを飲んだ。
The businessman sold the electric appliance to the man and drank some juice.
- Hiragana : かいしゃいんは じなんに じてんしゃを かって じゅーすを のんだ。
The business man bought his second son a bicycle and drank some juice.
Les zones cérébrales mises à contribution dans le processus de la lecture et de la compréhension des textes sont différents entre le japonais et l’anglais.
Hypothèses
Suite à cette étude, on peut émettre l’hypothèse suivante. Vraisemblablement une grande similarité dans le traitement cérébral existe entre le français et l’anglais en raison de leur mécanique alphabétique commune. En d’autres termes, un Français apprenant l’anglais devrait sans doute utiliser en partie les mêmes réseaux neuronaux d’ores et déjà entrainés à la lecture. En revanche, un Français apprenant le japonais doit entrainer des zones cérébrales différentes, habituellement inactives dans le cadre de la lecture. Dans ce contexte, le cerveau de l’étudiant français en japonais doit certainement tisser un nouveau réseau de connexions cérébrales pour traiter en temps réel la lecture et la compréhension immédiate des textes japonais. Au-delà du volume important de connaissances à acquérir en japonais, cette réalité biochimique explique certainement le volume de travail important à fournir dans le temps long pour rendre le cerveau opérationnel dans cette langue.
Pascal.
Source : Systèmes d’écritures et compréhension des phrases en japonais et en anglais : une étude IRMF concernant les effets des langues maternelles et étrangères sur l’activation cérébrale. “Japanese and English sentence reading comprehension and writing systems: An fMRI study of first and second language effects on brain activation.”